Depuis un an environ, nous faisant face à la flambée inflationniste. Elle se propage aux quatre coins du monde et touche l’Europe, les Etats-Unis, la Turquie, la Russie et la Mexique entre autres. La pression est tellement forte que les banques centrales se voient dans l’obligation de remonter leurs taux directeurs. Toutefois, cette situation ne concerne pas le Japon. En effet, des données officielles publiées vendredi ont démontré que le Japon n’est pas touché par la tendance inflationniste mondiale. Le pays continu aujourd’hui d’évoluer avec des prix à la consommation qui ont à peine augmenté. En janvier, on a à peine constaté une hausse de 0,2% sur un an hors produits frais. Sans compter le fait qu’un recule de 1,1 % a été enregistré au niveau des prix à la consommation, prix de l’énergie exclut.

Comment expliquer cette absence d’inflation ?

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Pour rendre compte de l’exception japonaise en matière d’inflation, plusieurs explications peuvent être soulevées :

Des prix de vente stagnants

En principe, les sociétés nippones font leur maximum pour éviter de reporter leurs hausses de coûts sur leurs prix de vente. Cela dans l’objectif de ne pas prendre le risque de faire fuir les consommateurs japonais qui ne sont pas habitués aux hausses de prix. De plus, dans le pays, le salaire n’augmente que très faiblement. Il ne faut pas non plus oublier que depuis janvier, avec la vague Omicron, la consommation des ménages est atone. Voilà autant de raison qui ferait qu’une hausse des prix serait malvenue.

Selon les déclarations de l’économiste de UBS Securities Masamichi Adachi lors de son interview avec l’AFP, « Le Japon subit plus de dommages que prévu du variant Omicron ». Il a ajouté que « La retenue des consommateurs a été plus importante que prévu et le rythme de la vaccination pour la troisième dose (contre le Covid-19, NDLR) est très lent ». Le Japon a été confronté à des records de nouvelles infections au Covid-19 causés par Omicron. Il a même atteint, début février, un pic autour de 100 000 nouveaux cas quotidiens.

Une faible consommation au niveau de la population

Une grande partie du pays est soumise à des restrictions sanitaires que le gouvernement a remises en place depuis janvier. Elles pèsent en particulier sur les restaurants et les bars. Une telle faible consommation des ménages représente par conséquent un poids non négligeable sur l’activité économique du pays. Alors que les Etats-Unis enregistrent la plus forte flambée inflationniste depuis 40 ans (+7,5%) et la zone euro fait face à une hausse de 5,1 %, du jamais vu depuis l’instauration de la monnaie unique, l’archipel nippon voit les prix à la consommation quasiment stagné.

En effet, des données officielles ont affiché une très légère augmentation de 0,2% (hors produits frais). Par rapport à celle de la hausse enregistrée en décembre (+0,5%), celle-ci est encore plus faible. D’ailleurs, elle est inférieure de 0,1 point à la prévision du consensus d’économistes de l’agence Bloomberg. On peut donc dire que la faiblesse de la consommation et donc de la demande constitue une solution désinflationniste pour l’économie nippone.

Le prix de l’énergie géré par le gouvernement

Par ailleurs, il y a même une recule de 1,1 % des prix à la consommation, en excluant les prix de l’énergie. Une replie de 0,2 % sur l’ensemble de l’année calendaire 2021 a été constatée sur les prix à la consommation. Cependant, à partir de l’automne, ils ont fait l’objet d’une légère hausse notamment à cause de la poussée des prix de l’énergie. Concernant ce point, les distributeurs et les importateurs perçoivent des subventions de la part du gouvernement, celui-ci tentant d’amortir les prix de l’essence.

Une croissance économique particulièrement faible

En 2021, le PIB national n’a rebondi que de 1,7 %. Toutefois, les économistes s’attendent à une stagnation ou même une légère rechute très prochainement, toujours à cause d’Omicron. En outre, la mise en place de certaines mesures prévues par le nouveau gigantesque plan de relance du gouvernement, équivalant à 430 milliards d’euros, a été retardée par la vague Omicron. Ce projet, consiste à assurer le retour d’un programme subventionnant le tourisme intérieur qui est suspendu depuis fin 2020.

Des mesures efficaces pour anticiper l’inflation

Depuis le début des années 1990, le Japon se distingue par une situation structurelle de stagnation. Il est même fréquent de voire les prix en baisse. Depuis 1994, le pays n’a jamais connu une inflation (mesurée en rythme annuel) durable allant au-delà du seuil de 1 %. Et cela même si la Banque du Japon se focalise sur la conduite d’une politique monétaire particulièrement accommodante. D’ailleurs, cette dernière anticipe une légère hausse de 1 % sur le taux d’inflation en 2023. Face à cette situation, les agents économiques prévoient une faible inflation pour le Japon. Cela se traduit par un caractère autoréalisateur. A cela s’ajoute le fait que les entreprises japonaises ne sont pas disposées à augmenter leur prix de vente. Cela parce qu’elles ont peur de la réaction des consommateurs.

La politique monétaire impacte peu la hausse des prix

Au Japon, la politique monétaire contribue faiblement à la hausse des prix. Ainsi, même si les politiques monétaires menées par les Banques centrales sont particulièrement accommodantes, elles n’entraînent pas une forte hausse des prix. Les contraintes que les observateurs ont exprimées lors de leur mise en place sont donc écartées.

Il faut noter que la Banque du Japon compte parmi l’une des premières Banques centrales au monde à appliquer des taux d’intérêt directeurs proches de 0 et à mettre en œuvre une politique d’assouplissement quantitatif. Ces initiatives étaient fructueuses puisque la taille du bilan de la Banque du Japon représente actuellement plus de 130 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Cependant, les mesures que la Banque du Japon n’ont pas eu d’impact majeur sur le niveau des prix des biens et services, et ce malgré leur ampleur.    

Atteindre l’objectif d’inflation de 2 %

Masamichi Adachi d’UBS Securities ainsi que les autres économistes espèrent toujours que cette année, le PIB nippon profite d’une « reprise solide ». Ils sont certains du fait que celle-ci a seulement été « reportée » à cause de la persistance de la crise sanitaire. Fin janvier, le Fonds monétaire international (FMI) a prévu une croissance économique de 3,3% au Japon pour cette année. Cela, grâce au développement progressif du nouveau plan de relance du gouvernement. Mais jusque là présent, la Banque du Japon (BoJ) ne pense toujours pas atteindre son objectif d’inflation de 2%, derrière lequel elle court vainement depuis 2013. Et cela malgré sa politique monétaire encadrée. En effet, les taux directeurs sont très faibles.

Actuellement, l’institution monétaire japonaise est établie à une inflation de 1,1% pour l’exercice 2022-2023 qui débutera le 1 er avril. Il en est de même pour 2023-2024. Néanmoins, à part le Covid-19, il y a les incertitudes sur l’évolution de la conjoncture qui restent très importantes. Il y a d’abord le risque d’une invasion de l’Ukraine par la Russie. Une telle situation peut bouleverser le commerce international et aggraver la flambée des prix de l’énergie. D’après Stefan Angrick, économiste de Moody’s Analytics, la reprise de l’économie japonaise « ne va probablement pas ressembler à une ligne droite ».

Finalement, le pays de la déflation redécouvre la hausse des prix

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Ce n’est qu’en avril dernier que le Japon a commencé à faire face à une inflation. En effet, les célèbres barres de maïs soufflé du Japon, les Umaibo, qui se vendaient au prix de 10 yens (7,7 centimes) depuis 1979 se vendent désormais pour 12 yens (1,5 centime). Le confiseur Yaokin illustre a pris cette décision en raison de la nouvelle donne que connaît l’Archipel.

Alors que le pays est enlisé dans la déflation depuis les années 1990, ces derniers mois il enregistre une poussée inflationniste. Celle-ci est principalement due par l’explosion des prix des matières premières et de l’énergie dans le sillage de la guerre en Ukraine et de la pandémie de Covid-19. A ce rythme, l’inflation au Japon pourrait atteindre 2 %, soit l’objectif recherché depuis 2013 par la banque centrale.

L’augmentation des prix se fait déjà ressentir au niveau des ménages. D’après les déclarations d’un responsable de production au sein d’un groupe industriel du département de Tochigi, au nord de Tokyo « J’habite à la campagne. La vie est moins chère qu’à Tokyo. Mais je m’inquiète, car les factures d’électricité et de gaz ont déjà crû de 20 % ». Le salaire moyen au sein de son entreprise a connu une augmentation de 0,5 %, soit 1 500 yens (11,20 euros). Mais ce père de deux enfants affirme que « la hausse des prix efface celle du salaire, j’ai l’impression que l’on ne cesse de s’appauvrir ». 

La valeur de la monnaie japonaise en chute

Depuis le début de l’année, la devise nippone a déjà chuté de 12 % par rapport au billet vert. Cela s’explique généralement par le resserrement monétaire de la banque centrale américaine. Il a même fallu disposer près de 130 yens (environ 0,95 euro) pour obtenir un dollar, jeudi 5 mai. Le yen n’a pas été aussi bas depuis vingt ans.

D’ailleurs, cette baisse de la devise nipponne pourrait encore s’accélérer avec le relèvement de 0,5 point des taux directeurs américains annoncé le 4 mai. Dans une note sur le sujet, Laetitia Baldeschi et Bastien Drut, économiste chez CPR AM ont soulignés que « La raison de la dépréciation récente du yen est assez claire : la très forte divergence de politique monétaire entre la Banque du Japon (BoJ) et la quasi-totalité des autres banques centrales du monde ».        

Les entreprises restent sur leur garde

Depuis 1954, la vie des salariés nippons est rythmée par le shunto (« offensive de printemps »), ces négociations salariales annuelles. Cette année, elle s’est pour une fois achevée sur un bilan mitigé. La majoration moyenne des rémunérations atteint, certes, 2,14 %, soit 6 581 yens (49,20 euros). Après que le groupe Total, 776 grandes sociétés de tous les secteurs ont accepté, jeudi 24 mars, les demandes syndicales. Ainsi, la hausse atteint 2,5 % chez Toshiba, 2,6 % chez Hitachi, etc. Ces valorisations sont très importantes dans un pays où les salaires stagnent depuis la crise asiatique de 1997.

D’après le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en 2020, le salaire moyen dans la troisième économie du monde s’élevait à 35 044 euros, contre 34 934 euros en 1997. Sur la même période, il a bondi de 19 862 euros à 38 178 euros en Corée du Sud. Economiste de l’Institut japonais de recherche, Hisashi Yamada déclare que « Les hausses annoncées cette année sont un peu meilleures que prévu, mais le rythme reste insuffisant pour stimuler l’économie ». Elles sont aussi loin de répondre aux attentes du gouvernement. Fumio Kishida, le premier ministre et promoteur d’un « nouveau capitalisme », axé sur une meilleure redistribution des richesses, avait revendiqué une augmentation de 3 %. 

Réduction des bénéfices et « réduflation »

A part le shunto, grand nombre d’entreprises locales choisissent d’absorber leurs coûts supplémentaires au lieu de les reporter sur leurs prix de vente. Pour les petites entreprises qui ont réussies à tisser des liens étroits avec leurs clients, il est difficile voir impensable de franchir le pas. Satoshi Okubo, qui tient à Tokyo un restaurant familial de nouilles udon, à base de farine de blé tendre a affirmé que « Pour l’instant, je supporte la hausse des coûts ».

Il a expliqué que « Nous tenons ce commerce depuis 70 ans, je ne peux pas simplement reporter ces coûts sur nos clients, dont nous sommes extrêmement proches ». Par conséquent, il doit s’attendre à une baisse de ses bénéfices. Pour veiller à ce que leur rentabilité ne soit pas trop rognée, beaucoup de marques alimentaires japonaises misent sur la « réduflation ». Il s’agit d’une pratique qui consiste à réduire légèrement la quantité unitaire d’un produit pour ne pas avoir à toucher à son prix.

Les consommateurs sont tout de même nombreux à ne pas apprécier de telle stratégie. C’est par exemple le cas de Masayuki Iwasa, 45 ans, qui répertorie depuis début 2020 de tels cas sur son site baptisé « Neage » (hausses de prix, en japonais). Il estime que « Il y a des entreprises qui disent franchement ce qu’elles font et d’autres non. Si elles étaient transparentes (sur leurs hausses de prix, NDLR), je pense que les consommateurs comprendraient ».     

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