Selon Anne Goujon Belghitn, Maître de Conférences à l’Université de Bordeaux, dans une publication parue sur sur The Conversation, les entreprises peinent à mettre en place les mesures relatives à la loi Sapin II. Selon elle, « malgré la protection des lanceurs d’alerte, les professionnels ne font généralement pas remonter l’information au-delà de leur espace de proximité dans l’organisation. »
Son étude menée durant l’année 2021, a permit de mettre en exergue « qu’il existe encore des insuffisances en faveur du lancement d’alerte sur le terrain, comme l’ont souligné les députés Olivier Marleix (LR) et Raphaël Gauvain (Renaissance)« . Et cela, malgrè une nouvelle loi adoptée en mars 2022 pour renforcer la protection des lanceurs d’alerte.
Anne Goujon Belghit, et Jocelyn Husser, de l’Aix-Marseille Université (AMU) avait présenté à 173 experts de divers secteurs cinq situations de dilemme différentes détaillant les situations auxquelles sont confrontés les managers. Ils ont pu en tirer que « Nos résultats montrent que les professionnels ne perçoivent pas toujours le caractère non éthique dans les 5 situations présentées. Ils réagissent essentiellement lorsque la santé des consommateurs est clairement menacée. » Par ailleurs, il semblerait que ceux qui réalisent ce caractère non ethique n’osent pas lancer l’alerte. « Les professionnels optent donc pour le silence plutôt que la divulgation du secret, même s’ils connaissent l’existence de dispositifs internes anticorruption. En effet, les risques perçus à lancer l’alerte restent trop importants au regard des bénéfices éventuels, même moraux, qu’ils perçoivent à transmettre l’information. » précisent-ils.
Mais loi Sapin II c’est quoi déjà ? Et qu’est-ce qu’elle implique pour les entreprises ?
Datant du 9 décembre 2016, la loi n° 2016-1691, dite Sapin II se rapporte à la lutte contre la corruption, à la transparence et à la modernisation économique. Elle concerne toutes les entreprises françaises qui comptent plus de 500 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires dépassant les 100 millions d’euros. Elle s’applique également à toutes les sociétés qui font partie d’un groupe dont la maison-mère est assiégée en France et qui remplissent les critères mentionnés ci-dessus. Par capillarité, la loi Sapin II est apposée à tous les prestataires externes et aux sous-traitants des « grandes » entreprises. Elle impacte une grande partie des entreprises françaises de toute taille.
Sans les entreprises, l’enjeu de la loi et plus précisément l’intégrité de la vie économique du pays ne peut être menée. Dans ce cas, la finalité est d’inciter les entreprises se lancer dans des politiques de tolérance zéro adaptées à leurs démarches de responsabilité sociétale.
Gros plan sur les obligations des entreprises en termes de lutte contre la corruption
La loi Sapin II a pour objectif d’améliorer le modèle français en Europe et à l’internationale en matière de lutte contre la corruption. Elle tant aussi à renforcer la lutte contre la corruption en France. Des obligations de moyen et de résultats sont imposées aux dirigeants d’entreprises, depuis 2016, suite à la mise en vigueur de cette loi. Cela afin de prévenir les risques de corruption. Cela signifie que toutes les entreprises sont obligées d’user de tous les moyens possibles afin d’empêcher les actes de corruption. Cependant, les entreprises ne se plient pas toujours sous l’ensemble des obligations imposées par la loi. Pourtant, elles sont les premières concernées par la lutte contre la corruption. A ce titre, elles doivent rigoureusement mettre en œuvre les mesures nécessaires. Dans le cas contraire, elles peuvent faire l’objet d’une sanction sévère.
Quoi qu’il en soit, peu importe la taille des entreprises, l’application des mesures anti-corruption prévues par la loi Sapin II, qu’elles soient obligatoires ou non, apporte une réelle valeur ajoutée à l’entreprise. La loi sécurise en effet les rapports entre partenaires commerciaux tout en participant à la bonne image de marque des entreprises.
Quelles sont les entreprises ciblées par la loi Sapin II ?
Un certain nombre de critères viennent conditionner la mise en place des mesures prévues par la loi Sapin II. En effet, d’après l’article 17 de la loi énonce que la loi concerne les entreprises suivantes :
- Les entreprises comptant 500 salariés avec notamment un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
- Les groupes de sociétés faisant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros avec une maison mère assiégée en France. La loi concerne aussi celles qui possèdent plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires consolidé de plus de 100 millions d’euros.
- Les sociétés caractérisées par des organes de direction. Le champ d’application de la loi ne concerne donc pas les SA, SAS et SNC.
La loi est effective en France, mais aussi à l’étranger. Par ailleurs, elle se rapporte à la fois à la corruption privée et à la corruption publique.
Les 8 piliers à mettre en place pour se mettre en conformité avec la loi Sapin II
Pour identifier les risques de corruption mais aussi pour mettre en place les moyens nécessaires pour éviter leur exécution, la loi Sapin II prévoit la mise en œuvre de 8 mesures :
Mesure 1 : un code de conduite
Ce premier pilier définit et illustre les différents types de comportements à bannir. Cela parce qu’ils sont considérés comme étant susceptibles de caractériser des faits de trafic d’influence ou de corruption. Il faudra inclure ce code de conduite dans le règlement intérieur de l’entreprise. A ce titre, il doit faire l’objet de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l’article L. 1321-4 du Code du travail.
Mesure 2 : un dispositif d’alerte interne
Cette deuxième mesure a été pensée afin de permettre le recueil des signalements qui viennent des employés notamment par rapport à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société.
Mesure 3 : une cartographie des risques
Elle est présentée sous la forme d’une documentation qui fait régulièrement l’objet d’une actualisation. Cette cartographie des risques est surtout destinée à analyser, hiérarchiser et identifier les risques d’exposition de la société à des exhortations externes aux fins de corruption. Cela se fait notamment en fonction des zones géographiques et des secteurs d’activités dans lesquels l’entreprise opère.
Mesure 4 : des procédures d’évaluation
Les procédures d’évaluation consistent à évaluer la situation des fournisseurs de premier rang, des clients et intermédiaires compte tenu de la cartographie des risques.
Mesure 5 : des procédures de contrôles comptables
Internes ou externes, ces procédures de contrôles comptables ont été mises en œuvre afin de s’assurer que l’on ne se sert pas des registres, des livres et des comptes pour masquer des faits de trafic d’influence ou de corruption. Les services de contrôle comptable et financier propres à la société peuvent procéder à ces contrôles. En outre, la société peut recourir à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes d’après l’article L. 823-9 du Code de commerce.
Mesure 6 : un dispositif de formation
Celui-ci s’adresse principalement au personnel et aux cadres qui sont les plus exposés aux risques de trafic d’influence et de corruption.
Mesure 7 : un régime disciplinaire
En cas de violation du code de conduite de la société, cette mesure permet de sanctionner les salariés.
Mesure 8 : un dispositif de contrôle et d’évaluation
Ce dernier pilier a été mis en place afin de contrôler et d’évaluer les mesures mises en œuvre en interne.
Pour les entreprises, il est possible de s’organiser en interne, en particulier leur département achats, en s’appuyant sur la norme volontaire ISO 37001
Les TPE / PME peuvent-ils être impactés par la loi Sapin II ?
Il est tout à fait possible que les mesures anti-corruption impactent une entreprise a priori exclue du champ d’application de la loi en raison de sa taille dès lors qu’elle collabore avec des entreprises qui y sont soumises. En effet, tous les TPE/PME qui collaborent avec des entreprises plus grandes, sont incontestablement soumises aux mesures mises en place par ces dernières dans le cadre de la loi Sapin II. Par conséquent, ils doivent se mettre d’accord avec leurs partenaires commerciaux pour pouvoir se conformer aux exigences de transparence et autres mesures qui se rapportent à la lutte contre la corruption.
En outre, l’adoption des mesures de lutte contre la corruption peut représenter une stratégie efficace afin d’attirer des clients et des fournisseurs de qualité. En effet, grâce à de telles mesures, l’entreprise peut valoriser une image de marque et susciter la confiance des collaborateurs commerciaux influencés par l’éthique des entreprises avec lesquelles ils coopèrent. Il ne faut pas non plus oublier le fait que les investisseurs en capital, les banques et autres acteurs financiers peuvent fort apprécier la mise en place des critères de conformité de la loi anti-corruption pour arrêter un choix d’investissement.
Tour d’horizon sur les sanctions applicables en cas de non-conformité à la loi Sapin II
Des sanctions sévères sont prévues en cas de manquement aux obligations de la loi Sapin II. En cas de corruption d’agent public, l’entreprise peut encourir une sanction administrative. Pour les entreprises qui ne mettent pas en place des mesures de prévention et de détection de la corruption, elle peut s’élever jusqu’à 1 million d’euros. La loi prévoit également la condamnation à une amende pouvant atteindre les 5 millions d’euros ou à dix fois le produit tiré de l’infraction. Enfin, une peine complémentaire de mise en conformité est prévue pour les entreprises condamnées pour corruption prévoyant la mise en place d’un monitoring (5 ans maximum) dont le coût est assumé par l’entreprise condamnée.
Quelles sanctions pour un dirigeant coupable de corruption à titre personnel ?
Pour la corruption publique, le dirigeant coupable de corruption à titre personnel s’expose à des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison et une amende de 1 million d’euros. Il encourt aussi une peine complémentaire d’inéligibilité. Cette dernière est quasi automatique. Enfin, pour les dirigeants d’entreprises qui ne mettent pas en œuvre des mesures de prévention et de détection de la corruption dans leur entreprise une sanction administrative de 200 000 euros est prévue.
Un prolongement de la loi Sapin I
Si la loi Sapin II a été mise en place c’est surtout pour prolonger la loi du 29 janvier 1993 dite Sapin 1. Cette dernière représente un mouvement de réformes en faveur de la transparence et de l’exigence éthique. Elle est relative à la transparence des procédures publiques et de la vie économique, mais aussi à la prévention de la corruption. Il faut noter que la loi Sapin I a permis des avancées non négligeables dans cinq domaines :
- La transparence dans le financement des campagnes électorales et des partis politiques : Grâce à la loi Sapin I, la transparence s’est vu renforcer notamment au niveau du plafonnement des dépenses de campagne pour l’élection des députés, l’obligation de signaler la liste exhaustive des organisations ayant consenti à des dons avec leur montant et la publication d’un rapport annuel de la commission nationale des comptes de campagnes.
- Services de publicités : les relations entre les médias, les annonceurs et les intermédiaires sont définies par la loi Sapin I. Elle a permis à bannir toutes les pratiques de facturations excessives et opaques aux annonceurs. Elle a également mis fin aux conflits d’intérêts qui se rapportent aux accords entre les supports et les agences de publicité.
- Urbanisme commercial : depuis la mise en vigueur de la loi Sapin I, le dispositif régissant l’urbanisme commercial (la régulation du développement des grandes surfaces) a été amélioré.
- Transmission de service public : la loi Sapin I règlemente la délégation de service public. Pour ce faire, elle la soumet aux obligations de publicité préalable et de mise en concurrence. De plus, elle a instauré des procédures strictes. On a procédé à un bilan de 20 ans de mise en œuvre de la loi dans ce champ. Un effet positif a été perçu au niveau de la concurrence. En effet, grâce aux procédures, on a pu réduire le prix payé au délégataire par la collectivité donc pour les contribuables. Une stabilité a également été constatée en ce qui concerne la durée moyenne des délégations autour de 11 ans. Par ailleurs, on a remarqué que les contrats sont peu conflictuels (seuls 4% des contrats qui arrivent à terme font l’objet d’un recours).
- Marchés publics : l’obligation de soumission au principe de publicité et des mises en concurrence dans l’attribution des marchés publics aux « contrats de travaux, d’études et de maîtrise d’œuvre conclus pour l’exécution ou les besoins du service public » (logements sociaux…) a été étendu grâce à la loi Sapin I. En outre, elle a mis au point une mission interministérielle d’enquête sur les marchés et conventions de délégation de service public. Le dispositif français de prévention des atteintes à la probité publique a été grandement rénové par les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique (une loi organique et une loi ordinaire). Elles ont été mises en place dans le cadre du prolongement des lois de moralisation et de transparence de la vie économique et publique des 11 mars 1988 et 29 janvier 1993.
D’une part, la loi Sapin II a pour principal objectif de renforcer la transparence des procédures de décisions publiques. D’autre part, elle vise à lutter efficacement contre la corruption tout en réprimant plus rapidement et sévèrement les actes relatifs à une telle pratique. Grâce à la loi Sapin II donc, la France pourra se mettre au niveau des meilleurs standards internationaux en termes de transparence, mais aussi au niveau de l’action contre la corruption. Bref, elle vient en prolongement de la loi Sapin I afin de garantir une totale transparence de la vie économique. L’idée est de proscrire tout acte pouvant encourager l’exécution d’un trafic d’influence ou de corruption à tous les niveaux.